12 • Vogue
Depuis plus de 130 ans, Vogue n’est pas seulement un magazine de mode, c’est une véritable institution qui reflète les évolutions de la société à travers l’art de la photographie. Des clichés sulfureux d’Helmut Newton aux expérimentations numériques d’Annie Leibovitz, en passant par l’émergence des supermodels sous Anna Wintour, Vogue a constamment redéfini les codes visuels de son époque. Comment Vogue a-t-il su s’adapter aux grandes mutations, des grandes guerres à l’ère des réseaux sociaux en passant par la libération sexuelle des années 60 ? Quelles figures et quelles images ont marqué son histoire ? Vogue et l’éloge de la haute-société Fondé en 1892, Vogue s’impose rapidement comme le guide de la mode et du raffinement aux États-Unis. En 1909, Condé Nast rachète le magazine et le transforme en une référence mondiale de l’élégance. Le passage au bimensuel et l’intégration de la photographie en font un précurseur de la modernité dans la presse mode. Avec l’arrivée d’Adolph de Meyer en 1913, Vogue abandonne l’illustration pour la photographie. Ce photographe allemand, influencé par le pictorialisme, met en scène des femmes de l’aristocratie vêtues de créations de haute couture. Ses images artistiques inaugurent la photographie de mode comme discipline à part entière et renforcent le prestige du magazine. Vogue, une épopée au rythme des conflits En 1923, Edward Steichen révolutionne Vogue en introduisant un style graphique et moderne. Photographe de renom, il collabore avec des créateurs tels que Coco Chanel et Paul Poiret. Ses clichés dynamiques capturent l’élégance en mouvement et ancrent la photographie de mode dans un rôle commercial et artistique. Cecil Beaton, collaborateur régulier depuis 1927, apporte un souffle onirique à Vogue. Ses mises en scène baroques, mêlant miroirs, drapés et fleurs, marquent les années 1930. Il photographie les icônes comme Audrey Hepburn, Marilyn Monroe et la Reine Elizabeth II, faisant de la photographie de mode un art narratif et théâtral. Après la Seconde Guerre mondiale, Vogue s’adapte à une société en quête de glamour. Irving Penn impose un style minimaliste dès 1943 avec des portraits iconiques, tandis que Richard Avedon, en 1966, insuffle du dynamisme et de l’émotion à travers ses clichés en mouvement. Vogue, en réponse aux révolutions des 60’s David Bailey, Terence Donovan et Brian Duffy, surnommés la « Black Trinity », incarnent l’esprit de la Swinging London. Leurs photographies brisent les codes en mêlant culture populaire et haute couture. Leurs clichés spontanés et audacieux redéfinissent les standards de beauté et rapprochent Vogue d’une jeunesse rebelle et créative. Dans les années 1970, Helmut Newton (1920-2004) révolutionne la photographie de mode avec des images provocantes explorant le fétichisme et l’érotisme. Ses clichés font scandale, mais imposent une vision de la femme à la fois indépendante et sensuelle. Son style, baptisé « glamour noir », mêle luxe et dramatique, rappelant l’esthétique des grands films d’auteur.Une série emblématique de Newton est « Le Smoking » (1975), réalisée pour Vogue Paris. Dans ces images, des femmes portent les célèbres smokings Yves Saint Laurent sous la nuit parisienne. Ce travail illustre une vision moderne de la femme, en phase avec la libération sexuelle et les mouvements féministes de l’époque. Face à la montée du magazine Elle, Vogue prend un tournant décisif en nommant Anna Wintour rédactrice en chef en 1988. Elle introduit un style audacieux où la haute couture se mêle au prêt-à-porter, porté par les premières supermodels comme Naomi Campbell et Kate Moss. Wintour impose également les célébrités en couverture, à l’image de Madonna en mai 1989. Des photographes de renom, tels qu’Irving Penn, Richard Avedon, Mario Testino ou encore Annie Leibovitz, collaborent avec Vogue. Leibovitz, en particulier, se distingue par ses portraits conceptuels iconiques, notamment ceux de Serena Williams, Adele et Angelina Jolie. Vogue et les enjeux du monde numérique Aujourd’hui, Vogue est publié dans 26 pays et reste un acteur majeur des débats sociaux sur l’égalité, la diversité et la durabilité. En 2018, Tyler Mitchell devient le premier photographe noir à réaliser une couverture pour Vogue US, marquant une avancée historique. En 2016, l’exposition « Vogue 100: A Century of Style », au National Portrait Gallery de Londres, célèbre un siècle d’héritage visuel du magazine. Vogue continue d’innover, explorant désormais la réalité augmentée et virtuelle pour réinventer l’expérience photographique et engager son audience dans des formats avant-gardistes.
11 • Photographie de Mode
La photographie de mode, depuis ses origines au XIXᵉ siècle, a été un reflet puissant des tendances, des évolutions sociales et des révolutions technologiques. De la haute couture aux transformations numériques actuelles, cette discipline a façonné des idéaux de beauté, influençant profondément la perception du corps, de l’esthétique et des aspirations culturelles. De la première collaboration photographique avec Adolphe Braun et l’impératrice Eugénie en 1856 à l’impact des outils numériques comme Photoshop dans les années 1990, la photographie de mode est devenue un outil puissant de simulation et de désir. La photographie de mode, représentation de la haute société Au XIXᵉ siècle, la photographie immortalise l’aristocratie, symbolisant pouvoir et raffinement. En 1856, Adolphe Braun photographie l’impératrice Eugénie dans les créations de Charles Frederick Worth, marquant la première collaboration entre photographie et haute couture. Avec Harper’s Bazaar et Vogue, la photographie devient un outil de glorification sociale, incarnant un fantasme pour les classes populaires et une affirmation de beauté pour l’aristocratie. En 1909-1910, Vogue et Harper’s Bazaar abandonnent l’illustration au profit de la photographie, consolidant la mode comme un vecteur de désir. En 1899, Thorstein Veblen décrit la consommation ostentatoire, où le vêtement, par la photographie, matérialise l’élitisme et renforce les écarts sociaux. Réalités et fantasmagories des conflits Pendant la Première Guerre mondiale, les femmes occupent des rôles masculins, modifiant la mode (corsets abandonnés, jupes raccourcies). La photographie de mode documente cette transformation, montrant des femmes élégantes et héroïnes de guerre. Après la guerre, dans les Années folles, des photographes comme Man Ray utilisent le surréalisme pour exprimer les tensions sociales, transformant la femme en symbole de modernité et de liberté. Dans les années 30, l’élégance devient accessible grâce à l’industrialisation, et des photographes comme Cecil Beaton accentuent le luxe et l’onirisme. Pendant la Seconde Guerre mondiale, la mode s’adapte aux restrictions, tout en conservant son glamour. Lee Miller, photographe de guerre, capture cette dualité entre travail et élégance, symbolisant la femme comme modèle de survie. Après la guerre, la mode, avec le New Look de Dior (1947), célèbre la féminité retrouvée. Louise Dahl-Wolfe capture cette résilience, symbolisant la renaissance post-guerre. La mode et la photographie psychosociologique des 60’s Dans les années 60, le féminisme remet en question les stéréotypes de genre, rejetant l’image de la femme au foyer. La mode devient un outil de rébellion, symbolisé par des couturiers comme Yves Saint Laurent et des photographes tels que David Bailey et Helmut Newton, qui capturent l’indépendance et la liberté des femmes. Leur travail mêle désir érotique et autonomisation, transformant la femme en icône culturelle. L’essor du prêt-à-porter rend la mode plus accessible, et la photographie devient plus naturelle et documentaire, soulignant la consommation ostentatoire. Les marques de haute couture maintiennent cependant une image d’inaccessibilité. Dans les années 70, l’ascension des supermodèles transforme le corps féminin en objet de désir, tout en représentant la jeunesse et la liberté. Ces icônes de beauté et de succès nourrissent le culte de la personnalité et l’ambiguïté entre insouciance et érotisme. La photographie de mode fétichise ainsi la jeunesse et l’indépendance, reflétant la société de consommation, comme le souligne Jean Baudrillard. Des paradoxes fantasmagoriques éternels ? La photographie de mode révèle des paradoxes persistants. L’un des plus marquants est celui de la jeunesse, qui incarne à la fois émancipation et objectification dans une société patriarcale. La jeunesse est devenue un objet de consommation, fétichisé et érotisé, malgré sa promesse de liberté. Dans les années 1980-1990, avec l’essor du capitalisme, les images acquièrent un pouvoir inédit sur la consommation. La mode devient une performance sociale, influençant comportements, styles de vie et apparences. Les photographes de mode, tels que Peter Lindberg et Helmut Newton, créent des récits visuels spectaculaires et exagérés qui brouillent la frontière entre réalité et fiction, une idée théorisée par Erving Goffman dans La Mise en scène de la vie quotidienne(1959). Un autre paradoxe clé : les tendances fugaces de la mode, basées sur une consommation rapide, sont figées dans des images permanentes. Les photographies, comme celles de Kate Moss pour Calvin Klein dans les années 1990, cristallisent l’instant, conférant aux vêtements une intemporalité tout en soulignant leur durée limitée. Ces images ne conservent pas la mode, mais fixent des fantasmes sociaux, renforçant leur dimension fantasmagorique. Ainsi, la photographie de mode joue le rôle de licence de durée, permettant à ce qui est temporaire de perdurer. Les icônes de la mode, comme Naomi Campbell et Linda Evangelista, deviennent des symboles de valeurs et désirs sociaux partagés, traversant le temps. Selon Jean Baudrillard, la photographie de mode ne reflète pas la réalité mais la transforme, créant un simulacre qui dépasse le réel pour façonner une réalité parallèle. L’aliénation du numérique Dans les années 1990, Photoshop transforme la photographie de mode, permettant des retouches illimitées et créant des archétypes féminins irréalistes. Jean Baudrillard parle d’hyperréalité, où l’image augmente la réalité, générant frustrations et impacts sur la santé mentale. Depuis les années 2000, le numérique, renforcé par Instagram et Pinterest, démocratise la mode et l’expression identitaire. Les avatars comme Lil Miquela, modélisés en 3D, brouillent les frontières entre réalité et fiction, redéfinissant les idéaux de beauté et questionnant les limites de l’humanité dans la photographie.
08 • Spirit Photography : chasser les fantôme
Découvrez l’histoire fascinante de la photographie spirite : des séances avec les médiums aux fraudes célèbres, entre apparitions de fantômes et ectoplasmes troublants.
07 • Post-Mortem : les photographes aident au deuil
Depuis le XIXème siècle, la photographie post-mortem s’est imposée comme une manière poignante de commémorer les défunts. Comment ces images, à la fois fascinantes et troublantes, témoignent-elles du rapport intime de cette époque à la mort ? Et pourquoi, malgré leur caractère dérangeant, continuent-elles de susciter un intérêt croissant auprès des chercheurs et des passionnés de photographie ?
06 • Hidden Mothers : les premières photos de nourrissons
Genre photographique étrange et intrigante du XIXᵉ siècle, il pose de nombreuses questions, à la fois techniques, symboliques et sociales. Pourquoi ces femmes sont-elles cachées ? Quel message se cache derrière cet effacement ? Cet épisode explore les hypothèses et significations entourant ce genre méconnu, qui révèle autant sur les pratiques photographiques que sur la place de la femme au XIXᵉ siècle.
04 • Pictorialisme : l’amateurisme comme revendication
Le Pictorialisme (de l’anglais pictoral, « pictural ») est un mouvement photographique daté de 1890 à 1914. Les pictorialistes sont les héritiers des photographes victoriens et, revendiquent l’amateurisme. Ils perçoivent la photographie comme un médium pouvant transmettre l’expression des sentiments grâces à l’intervention manuelle humaine. C’est pourquoi les sujets traités sont similaires aux genres picturaux : études artistiques, nus, scènes de genres, scènes religieuses, paysages et scènes historiques.
03 • La Photographie Victorienne : une entrée dans l’art
En 1839, le daguerréotype, nouvelle invention française, fascine le monde en promettant de figer la réalité avec une précision inédite. Mais en 1850, lorsque quelques photographes émergents revendiquent son potentiel artistique, l’idée suscite des remous. Les peintres, déjà en concurrence avec les photographes pour la reproduction architecturale et naturelle, voient d’un mauvais œil l’élévation de la photographie au rang de beaux-arts, redoutant une menace pour leur métier.