Élodie Bonin

À la fin du XIXᵉ siècle, un nom s’impose dans le domaine judiciaire : Alphonse Bertillon. Ce pionnier de la photographie criminalistique a révolutionné l’identification criminelle grâce à des méthodes novatrices mêlant mesure anthropométrique, portrait photographique et documentation minutieuse des scènes de crime. Du fichage des récidivistes à la résolution d’affaires célèbres, le bertillonnage a marqué un tournant décisif dans l’histoire de la justice et de la photographie.
Découvre comment ces techniques ont influencé non seulement la criminologie, mais aussi la manière dont nous concevons aujourd’hui la photographie en tant qu’outil de preuve et de mémoire. Pourquoi le bertillonnage est-il toujours une référence dans l’histoire judiciaire ? Quels défis et controverses ont marqué son héritage ?

Naissance de la photographie judiciaire à Londres

Au XIXe siècle, la révolution industrielle transforme profondément les grandes métropoles comme Paris, Londres ou New York. La surpopulation des quartiers pauvres exacerbe tensions sociales et criminalité. Contrairement aux zones rurales où chacun est identifiable, l’anonymat des villes favorise l’essor de nouvelles infractions : vols, escroqueries, cambriolages, mais aussi crimes organisés comme le trafic d’opium et attentats politiques.

Face à l’explosion de la criminalité, les autorités constatent le manque d’outils efficaces pour identifier les délinquants. Dès les années 1850, la police londonienne utilise la photographie pour réaliser des portraits de détenus. Bien qu’innovants, ces portraits sont freinés par les limites techniques de l’époque (temps de pose long, format d’image inadapté). Ces images, souvent diffusées à la presse, alimentent l’imaginaire populaire et changent la perception du crime.

Alphonse Bertillon : pionnier de l’identification criminelle

Dans les années 1880, Alphonse Bertillon révolutionne la criminologie avec des outils standardisés.

Le portrait parlé (1883) repose sur 11 mesures anthropométriques pour identifier les récidivistes : la taille, l’envergure, la longueur du buste, de la tête, de l’oreille droite, du pied gauche, du majeur gauche, de la coudée gauche, des joues, de l’avant-bras gauche, ainsi que de la largeur de la tête.

Pour garantir la précision, Bertillon conçoit une chaise anthropométrique composé d’un appui tête réglable pour aligner la tête, des supports latéraux pour maintenir une posture stable et une règle graduées pour mesurer bras, buste et tête.

Bertillon perfectionne également les portraits photographiques, devenant des « mugshots », standardisés par l’inclinaison de la tête standardisée, la double vue, le visage neutre et sans accessoires, l’éclairage uniforme sur fond neutre.

Ces portraits sont intégrés aux fiches anthropométriques comprenant les caractéristiques physiques spécifiques (taches, cicatrices, tatouages) ainsi que les empreintes digitales du détenus.

La photographie de scènes de crime est codifiée selon des critères stricts (échelle visible, angles multiples, documentation détaillée), garantissant une preuve visuelle objective. Il y réalise une regroupement de photographies et mesures anthropométriques par catégories (taille, forme du nez, proportions du visage), offrant un classement visuel pour identifier rapidement les récidivistes.

Les tableaux synoptiques, grilles visuelles regroupant criminels aux caractéristiques physiques similaires, facilitent les comparaisons. La scène se doit d’être intact lors de la prise-de-vue, sans manipulation préalable. L’éclairage uniforme permet d’éviter les ombres et distorsions. Les images doivent nettes et précises, tout en étant prises sous plusieurs angles : de face, de dessus, en gros plan. L’utilisation d’échelles mesure doivent être visibles sur les clichés. La documentation des lieux doit contenir des panoramas et détails spécifiques. Le cadre métrique doit permettre de mesurer les distances. Et enfin, des annotations précises (lieu, date, heure, numéro de l’enquête) doivent permettre une organisation logique : vues générales puis détaillées.

Limites et dérives

Malgré ses avancées, la méthode Bertillon présente des failles : manipulation des scènes de crime, documentation incomplète et biais lors des enquêtes. De plus, le bertillonnage s’inscrit dans une époque marquée par les théories physiognomiques controversées de Cesare Lombroso, associant traits physiques et comportements criminels.

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