Élodie Bonin

Alfred Stieglitz

Alfred Stieglitz, visionnaire et pionnier de la photographie, transforme ce médium en un art à part entière. Né en 1864 dans le New Jersey et issu d’une famille aisée, Stieglitz découvre la photographie en Allemagne. Inspiré par le pictorialisme et guidé par Hermann Wilhelm Vogel, il se fait remarquer grâce à sa photographie The Last Joke, Bellagio. À son retour à New York en 1890, il bouscule les conventions : après un passage en photogravure¹, il fonde la Photographic Secession et ouvre la célèbre Little Gallery, où il expose les œuvres révolutionnaires de photographes comme Steichen et Käsebier. Sa photo The Terminal marque un tournant, initiant son style moderniste. Mais qu’est-ce qui a vraiment motivé son parcours audacieux ?
"The Steerage
", Alfred Stieglitz (
1907)

En juin 1907, lors d’un voyage en Europe, Alfred Stieglitz capture The Steerage, l’une des œuvres les plus marquantes de l’histoire de la photographie². Cette image sociale, révélatrice des divisions de classe visibles sur le pont du navire, symbolise la séparation et l’isolement des différentes strates de la société.

The Steerage marque un tournant pour Stieglitz : il abandonne le pictorialisme pour embrasser le modernisme. Cette photo incarne sa conviction qu’une image peut être artistique sans artifice, pourvu qu’elle véhicule du sens, des émotions et une vision personnelle.

Lors de son séjour en Europe, Alfred Stieglitz découvre l’autochrome et l’expérimente jusqu’en 1910. Il rencontre également Matisse et Rodin, et, avec son ami Steichen, organise une exposition au 291, réunissant les œuvres du peintre et du sculpteur. Cet événement attire plus de 50 000 visiteurs, un succès impressionnant pour l’époque.

Profitant de cette effervescence artistique, Stieglitz s’entoure de créateurs internationaux et réalise leurs portraits, enrichissant sa vision et son réseau artistique.

En 1916, Alfred Stieglitz expose les œuvres de la peintre moderniste Georgia O’Keeffe³ à la galerie 291, marquant le début d’une relation passionnée et artistique. Leur amour s’alimente mutuellement, chacun devenant la muse de l’autre. En 1917, Stieglitz réalise une série de photographies d’O’Keeffe, explorant notamment le nu féminin, ce qui deviendra l’un des aspects emblématiques de son œuvre.

Le couple s’installe ensemble la même année et se marie en 1924. Aux côtés de figures telles que Camille Claudel et Auguste Rodin ou Frida Kahlo et Diego Rivera, Stieglitz et O’Keeffe incarnent l’un des couples artistiques les plus influents de leur époque.

Georgia O’Keeffe, 
Alfred Stieglitz (
1920)
Couverture de "Camera Work", No 2 (
1903)

De 1897 à 1902, Alfred Stieglitz est vice-président de Camera Notes, l’un des journaux photo les plus influents de l’époque, offrant articles, critiques, essais et comptes rendus d’expositions. Cependant, des difficultés financières et des tensions le poussent à quitter le journal pour lancer sa propre revue : Camera Work.

Stieglitz souhaite une totale liberté de choix éditorial, en y intégrant aussi bien la photographie que la peinture et la sculpture. Le premier numéro, publié en décembre 1902, est un succès immédiat. Malgré l’impact de la revue dans le monde de l’art, il doit cesser la publication en 1917, après 15 ans d’activité.

Dans les années 1920, Stieglitz se passionne pour la photographie des cumulus, qu’il considère comme une « musique virtuelle » dans sa série intitulée Équivalents.

Cependant, la dernière décennie de sa vie est marquée par un déclin de sa santé et des tensions dans son mariage. Alfred, jaloux, et Georgia, lassée de la vie mondaine, prennent leurs distances : Alfred se plonge dans ses galeries tandis que Georgia voyage au Nouveau-Mexique. Malgré cela, leur lien demeure fort grâce à une correspondance prolifique, avec près de 5000 lettres échangées.

Alfred Stieglitz décède le 13 juillet 1946 à 82 ans d’un infarctus cérébral, laissant sa femme, Georgia, qui lui survivra pendant 40 ans.

Découvre aussi…

Quelques références :

BAJAC, Q. (2005), La photographie : l’époque moderne 1880-1960, éd. Gallimard.

GERVAIS, T., et MOREL, G. (2011), La Photographie : histoire, techniques, art, presse, éd. Larousse.

TASCHEN (2013), Camera Work : The Complete Photographs, éd. Taschen.

The George Eastman House Collection (2010), Histoire de la Photographie : de 1839 à nos jours, éd. Taschen.

error: © Élodie Bonin - Tous droits réservés