Élodie Bonin

photographie

Victorienne

Une entrée dans l’art

En 1850, lorsque quelques photographes émergents revendiquent le potentiel artistique de la photographie, l’idée suscite des remous. Les peintres, déjà en concurrence avec les photographes pour la reproduction architecturale et naturelle, voient d’un mauvais œil l’élévation de la photographie au rang de beaux-arts, redoutant une menace pour leur métier.

Nu, Eugène Durieu (1854)

De manière surprenante, les premiers à revendiquer la photographie comme un art sont des peintres passés à la photographie. Le plus notable d’entre eux est Gustave Le Gray, qui, pour affirmer cette vision, fonde en 1851 la Société Héliographique, destinée à permettre aux photographes de partager leurs connaissances.

À la même époque, Louis-Camille d’Olivier, également peintre-photographe, crée une Société Photographique spécialisée dans le nu. C’est dans ce contexte qu’Eugène Durieu rencontre le célèbre peintre Eugène Delacroix, avec qui il mène des études photographiques sur le corps féminin.

En Grande-Bretagne, la reine Victoria joue un rôle clé dans l’élévation de la photographie au rang d’art. Dès 1840, elle et le prince Albert, passionnés d’art, s’intéressent à ce nouveau médium. Ils popularisent les portraits de famille, posant leurs enfants dans des scènes plus informelles que celles en peinture.

Avec l’Exposition Universelle de 1851, la photographie gagne en notoriété. En 1853, Charles Lock Eastlake et Roger Fenton fondent la Photographic Society, parrainée par la famille royale en 1854, devenant ainsi la Royal Photographic Society. Ce soutien royal marque une étape décisive dans la reconnaissance de la photographie comme un art.

"La Reine Victoria et sa fille aînée", 
Inconnu (
1845)
"Fading Away", 
Henry Peach Robinson, (1859)
"Two Ways of life", Oscar Rejlander (1857)
Henry Beach Robinson, après avoir découvert la photographie à l’Exposition Universelle de 1851, devient un pionnier du mouvement pictorialiste. Sa photographie la plus célèbre, « L’agonie », réalisée à partir de cinq négatifs, illustre son ambition de faire de la photographie un art majeur. Cette image sera complété plus tard par « She never told her love ». En 1870, il devient vice-président de la Royal Photographic Society et fonde en 1892 la Linked Ring, une société qui promeut la photographie artistique.
 
Oscar Rejlander, peintre suédois naturalisé britannique, se tourne vers la photographie en 1852. Sa photo-composition « Two Ways of Life » (1857), réalisée avec 30 négatifs¹, rappelle « L’École d’Athènes » de Raphaël. Bien que controversée pour sa représentation de femmes nues, cette œuvre lui vaut une renommée internationale. Rejlander poursuit ensuite avec des sujets plus légers, comme des scènes de rue et des portraits d’enfants, tout en continuant à explorer la mise en scène photographique.

Lewis Carroll, connu sous son vrai nom Charles Lutwidge Dodgson, se spécialise dans les portraits de jeunes filles², notamment Alice Liddell, qui inspira Alice au Pays des Merveilles. Il photographie également la filleule de la reine Alexandra, Alexandra Kitchin, et entretient un réseau de familles pour varier ses modèles.

Clementina Hawarden, première femme photographe abordée ici, se distingue par ses portraits de ses filles adolescentes, jouant avec la lumière, les ombres et les mises en scène. Exposée et récompensée par la Royal Photographic Society en 1863, son travail, longtemps éclipsé³ par celui de Julia Margaret Cameron, est redécouvert en 1939 grâce à la donation de 775 tirages au Victoria and Albert Museum, où une rétrospective lui est dédiée en 1972.

"Untitled", 
Clementina Hawarden
 (1860)

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Quelques références :

BAJAC, Q. (2005), La photographie : l’époque moderne 1880-1960, éd. Gallimard.

GERVAIS, T., et MOREL, G. (2011), La Photographie : histoire, techniques, art, presse, éd. Larousse.

The George Eastman House Collection (2010), Histoire de la Photographie : de 1839 à nos jours, éd. Taschen.

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